Le corps est une grande raison, une pluralité avec un sens unique, une guerre et une paix, un troupeau et un pasteur. Instrument de ton corps est aussi ta petite raison, mon frère, que tu nommes « esprit », petit instrument et jouet de ta grande raison. Tu dis « je » et de ce mot t’enorgueillis. Mais plus grande chose est celle à quoi tu refuses de croire, – ton corps et sa grande raison, qui n’est je en parole mais je en action. Nietzsche (1885/1971, p.45)
Lorsque la phénoménologie proclame que l’homme est « être dans le monde », elle affirme qu’une dualité entre mon être et ma subjectivité, d’une part, et la façon dont j’existe dans mon corps, d’autre part, est impensable (De Waelhens, 1950 ; Santarpia, 2016). Ainsi, le corps a une double nature et une double appartenance : mon corps est objet du monde, mais il est également vécu corporel, « ce qui m’ouvre au monde et me situe à son intérieur » (Merleau-Ponty, 1945, p.191). Ce vécu corporel, avant tout, appartient au monde de la sensation. Il se tient là sous nos yeux comme quelque chose de donné à soi-même et en acte. De plus, cette expérience s’inscrit et s’organise dans la culture (Mauss, 1985) : utiliser son corps pour marcher, manger ou pour toute autre action, c’est mettre en jeu les traditions et les symboles de la culture à travers lesquels ce corps s’est constitué et où les gestes, supports de l’acte, se sont établis (Allouch, 2010).
Santarpia, A., Abouchar, M., & Zabern, A. (2020, p.171).
Nos recherches en psychologie clinique et psychopathologie s’organisent et trouvent sa modalité d’interrogation dans cette attitude phénoménologique et anthropologique.
Par exemple, nous avons étudié (Santarpia, Veltri, Berreby, Menicacci, & Uebel, 2019) l’axe avant-arrière de l’image corporelle et son association avec les émotions, chez des personnes souffrant des symptômes schizophréniques.
Plus particulièrement, nous pensons de saisir la complexité de l’expérience corporelle, à travers les métaphores du corps.
Par exemple, en contexte oncologique, les métaphores corporelles angoissantes sont assez présentes… une patiente, interrogée sur sa féminité : « Et par rapport à votre féminité, vous êtes-vous posé des questions à ce moment-là ? » (Santarpia, Tellène, & Carrier, 2013, p.160).
Mme Violetta répond, à travers la métaphore « Je suis une extraterrestre » :
« Je me mets en maillot, je me mets une prothèse, je ne sors jamais sans ma prothèse. C’est moi. Au contraire. C’est moi qui… qui regarde tout le monde et qui dis ouais tiens elle c’est une femme et moi je ne suis la…je suis plus une femme et…je…je suis peut-être une extra…enfin dans ma tête je suis une extraterrestre quoi. Il me manque quelque chose. Ma féminité a morflé c’est sûr et certain » (ibid.).
Dans cette perspective épistémologique une série d’études interdisciplinaires sur la psychopathologie, la psychanalyse freudienne et la poésie italienne (Cavallo & Santarpia, 2005, Santarpia, 2021 ; Santarpia, 2022 ; Santarpia, Blanchet, Venturini, Cavallo & Reynaud, 2006; Santarpia, Venturini, Blanchet & Cavallo, 2012) ont décrit différentes catégories métaphoriques, dans la tentative de figurer l’innommable de l’expérience du corps. Les catégories métaphoriques trouvées ont été :
• le corps-contenant (fermé/ouvert, dedans/dehors, corps-maison, corps-prison, corps-temple)
• le corps-substantiel (corps-feu, corps-eau, corps-bois) ;
• le corps-objet (corps-texte, corps-machine, corps-serrure, corps-
fétiche) ;
• le corps-biologique (corps-animal, corps-végétal) ;
• le corps-métamorphique (le corps hybride des métamorphoses littéraires ou le corps-vécu dans un état de conscience modifiée) ;
• le corps-métonymique (le corps ou ses parties sont associés, par voie métonymique, à des fonctions spécifiques comme l’ouïe, la vue, etc., ou à des parties du corps) ;
• le corps-divin (catégorie où le corps ou ses parties sont associés à des attributs, à des images mentales des créatures surnaturelles ou divines) ;
• le corps-abstrait (le corps est associé aux notions abstraites, caractérisées par l’absence de propriétés relatives aux éléments naturels ou biologiques, et par l’absence d’images mentales stéréotypées ou spécifiques).
Santarpia, A. (2021, p. 34-35 )
Dans une perspective quantitative et psychophysiologique on a étudié les métaphores du corps dans l’expérience de relaxation et de l’induction hypnotiques, dans ce contexte on a inventé un dispositif biomécanique nommé ABLASMI (Santarpia, Blanchet, Mininni, Andrasik, Kwiatkowski & Lambert, 2010; Santarpia, Blanchet, Mininni, Kwiatkowski, Lindeman & Lambert, 2009) qui a été décrit dans l’article nommé The weight of the words…(Trad. Le poids des mots…, Santarpia et al.2009, voir lien ici pour le lire). Il s’agissait d’un dispositif original pour évaluer la relaxation des bras pendant l’écoute de musique et/ou énoncés impliquant des métaphores de la lourdeur (catégorie, le corps-substantiel).
Références
Cavallo, M. et Santarpia, A. (2005). Le corpo metaforico. Attualità In Psicologia, 20(3-4), 205-214.
Santarpia, A. (2022). “An arts-informed idiographic perspective in the oncological context: a humanistic-existential view,” in Yearbook of Idiographic Science. Vol. 10. eds. S. Salvatore and J. Valsiner (Charlotte, NC, USA: Infoage Publishing).
Santarpia, A. (2021). Guérir du cancer à travers les métaphores corporelles. Cancer(s) et psy(s), 5(1), 33‑43.
Santarpia, A., Abouchar, M., & Zabern, A. (2020,). La clinique psychocorporelle. In L. Dany (Ed.), Psychologie du corps et de l’apparence. L’image corporelle dans tous ses états. (pp. 171–189). Aix en Provence: Presse Universitaire de Provence.
Santarpia, A., Veltri, G. A., Berreby, H., Menicacci, A., et Uebel, M. (2019). Positive and negative valences of the Human body in schizophrenia: A pilot study of emotional narrative regarding the front and back. New Ideas in Psychology, 54, 27-34.
Santarpia, A., Tellène, J. et Carrier, M. (2013). Les effets d’un protocole d’écriture poétique SANTEL sur l’image érotique du corps dans le traitement du cancer féminin : étude pilote. Psycho-Oncologie, 7(3), 156-162.
Santarpia, A., Venturini, R., Blanchet, A. et Cavallo, M. (2012). Metaphorical conceptualizations of the body in psychopathology and poetry. DELTA : Documentação de estudos em lingüística teórica e aplicada, (26), 1-17.
Santarpia, A., Blanchet, A., Mininni, G., Andrasik, F., Kwiatkowski, F., & Lambert, J.-F. (2010). Effects of weight-related literal and metaphorical suggestions on the forearms during hypnosis. International Journal of clinical and experimental hypnosis, 58(3), 360‑365.
Santarpia, A., Blanchet, A., Mininni, G., Kwiatkowski, F., Lindeman, L., & Lambert, J. F. (2009). The « weight » of words on the forearms during relaxation. Applied Psychophysiology and Biofeedback, 34(2), 105‑111.
Santarpia, A., Blanchet, A., Venturini, R., Cavallo, M. et Reynaud, S. (2006). La catégorisation des métaphores conceptuelles du corps. Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique, 164(6), 476-485.