
‘Meditation’, Jozef Israëls, 1896. Public Domain. http://hdl.handle.net/10934/RM0001.COLLECT.9712
La présence de la Poésie en Situations de maladie grave (psycho-oncologie)
Notre hypothèse est que le « travail psychique avec la poésie » peut non seulement éloigner les patients d’une narration médicalisée de la maladie (symptômes, plaintes, gènes et douleurs physiques) mais aussi générer des métaphores corporelles agréables et potentiellement précieuses dans l’élaboration de l’angoisse de mort (Santarpia, 2021, p.37).
Dans le cadre de recherches qualitatives, avec l’aide de logiciels d’analyse du contenu nous avons publié 3 travaux dans lesquels nous proposons des protocoles poétiques dans des situations de fin de vie ou de rémission de cancer.
Par exemple, dans notre article du 2013 (Santarpia, Tellène & Carrier, 2013, p. 156), nous proposons un protocole nommé SANTEL composé de quatre étapes : une liste des phrases à caractères poétiques et érotiques à choisir, un texte à trous à remplir, des amorces de phrases ciblées sur le corps et en fin un poème libre. Madame V. a subi un cancer du sein nécessitant une ablation complète (situation de rémission). Madame V. et son conjoint exécutent le protocole d’écriture séparément.
Madame V., après sa participation au protocole nommé SANTEL, racontera une transformation de sa perception corporelle: elle passera de la métaphore initiale « je me sens une extraterrestre » vers la plus atténuée « Non. Je me dis qu’extraterrestre c’était peut-être un peu énorme ». En plus, elle utilisera de nouvelles métaphores linguistiques du corps pour raconter son image du corps telles que « ce corps de chair blanche » et « une fleur qui s’ouvre délicatement ».
À l’image de la reconstruction chirurgicale qui renvoie au travail d’incorporation
de l’organe modifié ou de la prothèse instaurée, nous pensons que notre protocole d’écriture SANTEL pourrait encourager un travail de réincorporation, une sorte de « chirurgie réparatrice, perceptive et littéraire » du corps érotique dans l’image du corps. Ainsi La pensée poétique pourrait constituer une ressource de premier ordre dans la reconfiguration de l’image érotique du corps dans le cadre de la rémission du cancer féminin (Santarpia, Tellène & Carrier, 2013, p. 162).
Dans nos articles du 2015 (Santarpia, Paul, & Dudoit, 2015; Santarpia, Dudoit, & Paul, 2015) nous avons proposé un protocole poétique, nommé SADUPA (voir les détails dans les articles), inspiré à la poésie haïku. Il s’agit d’un protocole d’écriture poétique (Santarpia, Paul, & Dudoit, 2015, p. 127) composé de quatre étapes : un entretien préliminaire, la proposition de 15 haïkus (sans le vers du milieu) tirés de grands auteurs japonais, la réalisation d’un poème composé librement par deux patients atteints de cancer, un entretien final sur l’expérience de l’écriture poétique. Nous avons proposons ce protocole à un homme, M. D., âgé de 25 ans, qui était en
traitement pour un cancer et à un homme M. A, de 70 ans, qui souffrait d’une tumeur maligne de la cuisse, qui était métastasée dans ses poumons ; le cancer était en phase terminale. Nous montrons les variations discursives utilisées avant et après l’expérience de l’écriture poétique, à travers le logiciel Tropes V8.4 (https://www.tropes.fr/).
En général nous avons observé que le travail poétique avec le haïku peut être un
outil utile, dans un contexte de support clinique en institution ou comme préparation à un travail de psychothérapie. Nous pensons que la structure formelle des haïkus peut inviter à un
travail poétique spécifique centré sur une perspective spirituelle et trans-égoïque du corps souffrant (Santarpia, Paul, & Dudoit, 2015; Santarpia, Dudoit, & Paul, 2015; Santarpia, 2021).
En particulier, M.A nous a beaucoup touché car il a écrit une poésie en fin de vie, très délicate et spirituelle dans la quelle il évoque un olivier centenaire: en parlant de cette poésie que vous pouvez lire dans l’écrit original, pag. 241 (Santarpia, 2018) ce monsieur passionné d’écriture, de lecture et d’histoire nous dira :
« Oui avec cet olivier qui est un arbre centenaire, d’ailleurs on dit qu’il est immortel, oui parce que c’est beau ce vert. Ce camaïeu de vert, ces branches qui se tordent avec ces petits rameaux. Oui en lisant ce haïku j’ai repensé à un poème de Lamartine qui dit : le temps n’a point de rive, le temps n’a point de port, il coule et nous passons… »
(Santarpia, 2018, p.241).
Pour terminer cette section, il faut mentionner notre travail sur la catégorisation des métaphores conceptuelles du corps (Santarpia, Blanchet, Venturini, Cavallo & Reynaud, 2006; Santarpia, Venturini, Blanchet & Cavallo, 2010), il n’est par directement en lien avec la psycho-oncologie mais nous avons cherché de repérer les différents types de conceptualisation du corps qui s’expriment dans la pratique psychanalytique, la pratique psychiatrique, et dans des ouvrages poétiques italiennes sélectionnés pour leur centration sur ce thème. Les métaphores linguistiques du corps dans les ouvrages poétiques sélectionnés s’appliquent davantage à conceptualiser le corps comme un système intégré d’expériences. Ces métaphores portent sur différents organes et substances corporels : « coeur », « sang », « poitrine », « le/les bras », « oeil/yeux », « sein/s », « visage », « tête », « chair », « peau », « main/s », « langue ». On constate ainsi que ces catégorisations psychologiques et littéraires évitent toute description anatomique du corps pour centrer leur discours sur une construction poétique du corps que nous allons appeler « Construction perceptive-littéraire du corps » (Santarpia, Blanchet, Venturini, Cavallo & Reynaud, 2006, p. 476 ; Santarpia, Venturini, Blanchet & Cavallo, 2010, p.447).
La poésie nous offre la possibilité de créer, approfondir, reconstruire des vécus émotionnels,
à travers la richesse de la pensée métaphorique…la pensée poétique pourrait constituer une ressource de premier ordre dans la conceptualisation du corps (Santarpia, Blanchet, Venturini, Cavallo & Reynaud, 2006, p. 484).
Vous pouvez lire l’ensemble des travaux centrés sur la poésie, sur le lien https://www.researchgate.net/profile/Alfonso-Santarpia-2
Références
Santarpia, A. (2021). Guérir du cancer à travers les métaphores corporelles. Cancer(s) et psy(s), 5(1), 33‑43.
Santarpia A. (2018). Le travail clinique d’orientation humaniste en psycho-oncologie. Psycho-Oncologie 12 235-243.
Santarpia, A., Paul, M., & Dudoit, E. (2015). L’usage de la poésie haïku en psycho-oncologie. Psycho-Oncologie 9 (2), 127-134.
Santarpia, A., Dudoit, E., & Paul, M. (2015). The Discursive Effects of the Haiku-based SADUPA Poetry Technique in Palliative Care. The Journal of Poetry Therapy 28 (3), 179-194.
Santarpia, A., Tellène J., & Carrier, M. (2013). Les effets d’un protocole d’écriture poétique SANTEL sur l’image érotique du corps dans le traitement du cancerféminin : étude pilote. Psycho-Oncologie 7 (3), 156-162.
Santarpia, A., Venturini, R., Blanchet, A., & Cavallo, M. (2010). Metaphorical conceptualizations of the body in psychopathology and poetry. DELTA: Documentação de estudos em lingüística teórica e aplicada, (26), 453‑451. doi: 10.1590/S0102-44502010000300003
Santarpia, A., Blanchet, A., Venturini, R., Cavallo, M., & Reynaud, S. (2006). La catégorisation des métaphores conceptuelles du corps. Les Annales Medico-Psychologiques 164 (6), 476-485.